La participation du public aux décisions de l’Administration en matière d’aménagement et d’environnement, Professeur René Hostiou

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       Le droit administratif classique est très largement fondé sur le principe de l’unilatéralité du pouvoir normateur de l’Administration. Par sa seule volonté, l’Administration peut, en prenant des décisions « unilatérales », produire du droit, faire naître des obligations pour les administrés, être en mesure de contraindre ces derniers à s’exécuter.
       
       Le droit administratif classique fait de l’Administration un personnage tout puissant face auquel les administrés doivent s’incliner. La seule arme dont disposent ces derniers réside dans la possibilité de saisir a posteriori la juridiction administrative d’un recours en annulation, sachant que ledit recours les autorise à se situer uniquement sur le terrain de la légalité (et non sur celui de « l’opportunité ») des décisions contestées, c’est à dire qu’elle ne permet aucunement à ceux-ci de remettre en question le « bien-fondé » de ces décisions.
       
       Même si elle est sans aucun doute excessive et quelque peu caricaturale, ce constat met en lumière la spécificité du droit administratif, la particularité des relations Administration –administrés, basée juridiquement sur un rapport d’inégalité entre les parties en présence, l’Administration détenant un monopole quant à la définition de l’intérêt général et disposant en conséquence, dans le cadre de la mission qui est la sienne, du droit de faire prévaloir sa volonté sur celle des administrés.
       
       Ainsi que je viens de le dire, cette présentation est quelque peu excessive, le droit administratif n’est pas absolument et radicalement étranger à la technique conventionnelle qui, dans le domaine économique en particulier, bénéficie au contraire d’un large champ d’application. De plus, dans le cadre de son action unilatérale, l’administration a été amenée, par la force des choses, et en particulier en vue de conférer une plus grande efficacité à cette action, à associer à l’élaboration des normes qu’elle entend émettre divers partenaires, plus ou moins directement impliqués ainsi dans la mise en œuvre de ces normes, et à se rapprocher même parfois d’un processus de co-décision. On parle alors d’administration consultative, d’administration concertée, de co-gestion, autant de formules qui traduisent des réalités le plus souvent très différentes, correspondant à des situations dans lesquelles l’analyse juridique montre très vite ses limites, au bénéfice d’investigations relevant d’avantage de l’analyse sociologique.
       
       Le droit de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’environnement est très vite apparu comme nécessitant une approche moins « unilatérale » des décisions. L’obligation s’est faite sentir très tôt (1976) pour l’Etat d’associer les collectivités locales à son action de planification de l’usage des sols. La décentralisation mise en place à partir de 1983 a toutefois conduit à un rééquilibrage des compétences, le principe étant désormais que ce sont les collectivités locales qui sont les maîtres du jeu en la matière. Mais il s’agit là, on le voit, d’un registre très particulier, propre à la question des rapports centralisation –décentralisation, « centre et périphérie », qui n’intéresse en définitive que très indirectement l’administré, le citoyen.
       
       Très différente est, en revanche, la situation concernant l’environnement. A partir des années 1970, apparaît en effet une revendication très forte et quelque peu nouvelle, émanant en particulier de milieux associatifs, et portant sur le droit à la participation (déclaration de Stockholm de 1972, acte final de la conférence d’Helsinki de 1975, principe 10 de Rio de 1992) : chaque individu doit avoir la possibilité de participer aux processus de décision, les Etats doivent encourager et faciliter la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci.
       
       La convention CEE/ONU signée à Aarhus le 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice s’inscrit directement dans ce cadre : dans le domaine de l’environnement, un meilleur accès à l’information et la participation accrue du public au processus décisionnel permettent de prendre de meilleures décisions et de les appliquer plus efficacement, lui donnent la possibilité d’exprimer ses préoccupations et aident les autorités publiques à tenir dûment compte de celles-ci.
       
       Présenté comme un instrument de « démocratisation » des décisions environnementales, ce principe de participation a des implications qui sont sans commune mesure avec les exigences correspondant à une simple « information » ou même à une « consultation » du public, qui relèvent de techniques infiniment plus familières à notre tradition juridique et, sans nul doute, moins contraignantes pour les autorités titulaires d’un pouvoir de décision, traditionnellement caractérisé par l’unilatéralité de l’action administrative et le monopole tout à la fois de la légitimité élective et de l’expertise technicienne. C’est en effet à un dialogue « permanent », initié très en amont de la décision, « c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence » que se voient désormais conviés le maître d’ouvrage et le public. Cette participation devra se poursuivre « tout au long du processus décisionnel ». Et si l’autorité compétente n’est pas, au terme de cette procédure, liée par les résultats de cette participation du public, elle est néanmoins tenue, au moment où intervient sa décision, de « prendre en considération » ces derniers.
       
       Ce droit fait, de plus, l’objet de garanties contentieuses particulières. Le « public concerné », c’est à dire toute personne touchée ou qui risque d’être touchée par les décisions prises ou ayant tout simplement un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel 1, devra pouvoir « former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi, pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, de tout acte ou de toute omission tombant sous le coup des dispositions de l’article 6 », relatives à la participation du public à l’élaboration des décisions relatives aux activités « particulières ». Rapidité, coût ( qui ne doit pas être « prohibitif » ), effectivité, les exigences posées en matière contentieuse sont drastiques, la convention allant jusqu’à disposer que ces procédures doivent permettre, s’il y a lieu, au juge de « redresser par injonction » une situation illégale, ce qui est de nature à inciter le juge à disposer pleinement des pouvoirs qui sont désormais les siens.
       
       Les instances européennes ont dans cette même optique adopté une directive en date du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et une autre directive, en date du 26 mai 2003 ( 2003/35/CE ) relative à la participation du public et à l’accès à la justice . qui, conformément aux dispositions de la convention d’Aarhus, impose aux Etats de mettre en place une participation du public en ce qui concerne les « plans et programmes » relatifs à l’environnement ( art. 2 ), et qui, modifiant une nouvelle fois la directive 85/337, détermine de nouvelles exigences concernant la participation du public s’agissant de l’évaluation des incidences sur l’environnement des projets publics et privés susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ( art. 3 ). Il en ressort que l’information du public devra intervenir « à un stade précoce des procédures décisionnelles en matière d’environnement et, au plus tard, dès que ces informations peuvent raisonnablement être fournies » (art. 3 modifiant l’art. 6 –2 de la directive 85/337), que le public concerné devra, à ce même stade, se voir donner des possibilités « effectives », en disposant notamment de « délais raisonnables », de participer au processus décisionnel et d’adresser des observations et des avis aux autorités compétentes, lorsque toutes les options sont envisageables, avant que la décision concernant la demande d’autorisation soit prise. A cela s’ajoute une obligation renforcée de prise en considération de cette participation, les autorités compétentes étant tenues , lorsque la décision d’accorder ou de refuser une autorisation a été prise, d’informer le public des principales raisons et considérations sur lesquelles cette décision est fondée, « après examen des préoccupations et des avis exprimés par le public » ( art. 3 modifiant l’art. 9 de la directive 85/337 ).
       
       Dans le droit fil de ces différentes dispositions, la charte de l’environnement , adoptée en 2004, dispose : Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ( art. 7 ) .
       
       Tout cet arsenal juridique s’est traduit par un certain nombre d’évolutions caractérisées du droit interne.
       En 1976 et surtout en 1983 est profondément modifiée la procédure d’enquête publique issue de lois de 1833 et de 1841 et relative, à l’origine, au droit de l’expropriation. La loi Bouchardeau du 12 juillet 1983 , relative à la « démocratisation » des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement, a entendu étendre très sensiblement le champ d’application de ces dernières, en calquant en quelque sorte ce dernier sur celui des études d’impact, en renforçant les pouvoirs du commissaire-enquêteur, personnage indépendant chargé de suivre le déroulement de l’enquête publique, d’entendre et de rendre compte des observations formulées par le public et de donner, à l’issue de l’enquête, « en son âme et conscience » un avis sur le projet soumis à enquête. A partir du 23 avril 1985, date de mise en place des décrets d’application de cette loi, l’enquête publique apparaît, dans ces conditions, et en dépit de toutes les insuffisances de cette dernière , comme le support juridique de ce nouveau droit à une information environnementale, comme le cadre procédural permettant , tout naturellement, au public de s’informer et, le cas échéant, de faire connaître ses appréciations, suggestions et contre-propositions, selon les termes mêmes de cette loi2 , ce qui semble, par conséquent, traduire une parfaite harmonie dans ce chœur à deux voix ( internationales et internes ) qui préside à la construction du droit en la matière.
       
       A cela s’ajoute la Commission Nationale du débat public créée en 1995 et érigée au rang d’Autorité Administrative Indépendante en 2002. Elle a pour but d’organiser en amont de l’enquête publique un débat public sur l’opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national ayant un impact significatif sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ou présentant de forts enjeux socio-économiques ( projets autoroutiers, nouvel aéroport, lignes électriques à très haute tension, etc. ). La commission ne formule pas d’avis, elle veille tout simplement à ce que le débat, qui peut durer parfois jusqu’à six mois, se déroule dans des conditions satisfaisantes, c’est à dire que tous les points de vue puissent se faire entendre, sachant qu’en fin de compte c’est l’autorité administrative compétente qui se prononce sur la poursuite ou non du projet.
       
       A cela, il convient d’ajouter le referendum local créé par une loi de 1992 et modifié en 1995 et qui permet soit au maire, soit au conseil municipal, soit aux électeurs ( un cinquième des électeurs inscrits ) de provoquer une consultation ( qui n’est pas décisoire et qui a le caractère d’un simple avis ) sur une question relevant de la compétence des autorités locales. On peut évoquer également, en droit de l’urbanisme, « la concertation » ( art. L. 300-2 du Code de l’urbanisme) qui impose aux autorités locales, dans le cadre, par exemple, de l’élaboration ou de la révision du plan local d’urbanisme, de délibérer sur les modalités de la concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les personnes concernées et, à l’issue de cette concertation, de « présenter le bilan » de cette dernière.
       
       Il est délicat de vouloir porter une appréciation critique sur ce grand mouvement de notre droit tant celui-ci paraît irrésistible. La pression exercée à cet égard par les instances européennes paraît difficile à contrer et même si les autorités nationales (administrations et juridictions) semblent le plus souvent chercher à ralentir cette évolution, il s’agit là de combats « d’arrière garde » et de tentatives condamnées à l’échec. Le principe de participation en matière d’urbanisme cet d’environnement est aujourd’hui incontournable.
       
       Reste un certain nombre de questions.
       Le principe de participation met en relief le conflit, toujours latent, entre deux formes de démocratie, la démocratie représentative (élus) et la démocratie participative (citoyens). Il n’est pas surprenant de voir très fréquemment les élus locaux chercher, sans oser attaquer celle-ci de front, à limiter la portée des formes de démocratie participative ou encore éventuellement à chercher à récupérer celle-ci pour, par exemple, tenter de s’opposer à l’Etat.
       
       La question du « moment » est également délicate. On l’a vu, les dispositions internationales tendent à exiger que celle-ci se déroule suffisamment tôt dans le processus cde décision. Le problème est que si elle se déroule trop en amont, le public aura du mal à se mobiliser et que si elle a lieu trop « en aval », elle n’a plus guère de signification.
       
       La question de la combinaison de ces procédures de participation avec une culture très largement axée sur le recours contentieux est également problématique. Ces procédures parfois complexes (enquête publique) se révèlent, à l’usage, de nature à fragiliser les décisions qui en résultent, dans la mesure où elles contribuent à fournir des éléments en vue d’une annulation contentieuse (contentieux de la légalité externe). Autrement dit, l’objectif du maître d’ouvrage sera le plus souvent, non pas de jouer pleinement le jeu de la participation, mais d’éviter avant tout une annulation contentieuse qui risque de retarder la réalisation du projet.
       
       Mais, répétons-le, il s’agit là de remarques « politiquement incorrectes » tant le principe même du droit de participation paraît désormais irrévocablement acquis.
       
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       1. Selon la formule qui est celle de l’art. 2-5 .
       2. Art. 2 de la loi du 12 juillet 1983, codifié à l’art. L. 123-1 du Code de l’environnement.


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