La réforme du cadre budgétaire de 2001 marque un changement de culture dans la détermination et la gestion des politiques publiques en France

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       La « modernisation » de l'Etat, contrairement à ce que l'expression peut laisser sous-entendre, est en fait un sujet ancien et récurrent en France. En effet, la modernisation de l'Etat n'est rien d'autre que l'application du « principe de mutabilité des services publics » évoqué par le Docteur Pierrick Le Jeune dans son article. En effet, moderniser l'Etat signifie réformer l'Etat, l'adapter aux nouvelles données socio-économiques et environnementales, aux nouvelles demandes des usagers. Cela dit, et l'expérience le prouve,au gré des équipes gouvernementales en place, le curseur de la réforme peut être actionné plus ou moins brutalement, avec une amplitude plus ou moins grande et dans un sens ou dans un autre. La réforme du cadre budgétaire français s'inscrit dans ce mouvement perpétuel. Elle en est à la fois une conséquence et un levier des réformes.
       
       Le présent article a pour objet de montrer comment, en 2001, la réforme consensuelle du cadre budgétaire datant de 1959 (I) a fait émerger chez des acteurs responsabilisés une culture de résultat (II).
       
       I - Un solide cadre budgétaire devenu inadapté qui n'a pu être modifié que par un large consensus
       
       En quarante ans, la France a plus modifié sa Constitution que le cadre de ses finances publiques (A) car il a fallu attendre la fin des années 90 pour qu'enfin se fasse jour un consensus réformateur (B).
       
       A - Solidité du cadre budgétaire ou immobilisme budgétaire?
       
       La France est entrée dans le XXI ème siècle avec les règles budgétaires et comptables dont elle s'est dotée en 1959 alors que dans le même temps elle a connu 15 réformes constitutionnelles. C'est dire, selon certains, la solidité de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances face aux événements qui ont affecté le pays sur la plan politique, institutionnel, économique et social.
       
       Cette solidité ne signifiait pas que l'ordonnance de 1959 était exempte de critiques tant politiques que techniques. Des parlementaires regrettaient d'être tenus trop à l'écart du processus budgétaire notamment en devant reconduire en un seul vote 94% des crédits, approuvés l'année précédente, jugés nécessaires à l'exécution des services publics (services votés). Des spécialistes des finances publiques mettaient en évidence la faiblesse du cadre budgétaire au regard des nouveaux engagements européens et de la politique de décentralisation de la France et regrettaient également les limites, en termes de gestion, de la seule comptabilité de caisse. Des gestionnaires des fonds publics, quant à eux, pointaient les rigidités du dispositif qui nuisaient aux démarches de performance et de responsabilisation des acteurs.
       
       Mais les critiques des uns et des autres durent attendre les effets conjugués de la mondialisation, des crises économiques et financières, des risques d'accroissement de la dette publique, des engagements de la France dans le cadre du pacte de stabilité européen (déficit public limité à 3% du PIB; dette publique inférieure à 60% du PIB), de l'évolution des idées politiques et des attentes des citoyens pour avoir raison de la solidité budgétaire que d'aucuns avaient fini par qualifier d' immobilisme budgétaire.
       En réponse aux critiques, se dessinèrent donc des objectifs précis autour des idées de transparence, de liberté et de responsabilité:
       rapprocher le budgétaire du politique en posant les missions et les objectifs de l'Etat puis l'allocation les moyens,
       renforcer le rôle du parlement,
       rechercher la performance
       évaluer l'action de l'Etat
       responsabiliser les gestionnaires publics
       
       Cela dit, les idées, aussi bonnes soient-elles, pour être mises en œuvre nécessitent un consensus politique, particulièrement dans le domaine budgétaire. A ce sujet, il est bon de rappeler qu'en 40 ans, 36 propositions de loi émanant de parlementaires ont tenté, en vain, de modifier la préparation, le vote et l'exécution du budget de l'Etat français. Seules deux modifications minimes furent acceptées en 1971 et 1985.
       
       B - Un consensus politique, expression d'une impérative nécessité et levier d'une réforme
       
       La Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF), est une loi organique, c'est-à-dire une loi qui, dans des cas visés par la Constitution, précise les modalités d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics. Au cas présent, c'est l'article 47 de la Constitution française qui prévoit notamment que le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.
       
       La loi organique est adoptée selon une procédure particulière. Ainsi, par exemple, aucune disposition ne revêtant pas le caractère organique ne peut être introduite dans le projet ou la proposition de loi organique par voie d'amendement ou d'articles supplémentaires. En outre, s'il existe un désaccord entre les deux assemblées, l'Assemblée nationale et le Sénat, la loi organique est adoptée en dernière lecture par l’Assemblée nationale à la majorité absolue de ses membres.
       
       On le voit, compte tenu notamment des domaines et de l'objet des lois organiques et de leurs modalités d'adoption, réformer imposent techniquement un consensus politique.
       
       Ce consensus a fini par exister et s'est exprimé de plusieurs manières: lorsque le gouvernement socialiste a laissé prospérer la proposition de loi organique déposée le 11 juillet 2000 par le rapporteur général de la commission des Finances; dans un « partenariat exemplaire » - selon les termes mêmes d'un élu de droite (Union pour la Démocratie Française) - entre les deux chambres, à l'époque l'une à gauche, l'Assemblée nationale, l'autre à droite, le Sénat; ou encore entre et dans les groupes politiques à tel point que le seul groupe politique qui s'était abstenu (le groupe communiste), l'avait fait mais en saluant les « avancées enregistrées, qui (...) ne sont aucunement négligeables ».
       
       On soulignera que l'ordonnance de 1959 n'avait pas, par nature, associé les parlementaires à la création du cadre budgétaire de la 5ème République. En effet, selon l'article 38 de la Constitution française, le gouvernement peut demander au parlement l'autorisation de prendre des mesures qui relèvent du domaine de la loi, c'est-à-dire des dispositions de l'article 34 de la Constitution. C'est ce qu'il fit le gouvernement, d'aucuns soutenant alors que l'approbation de la Constitution de 1958 par voie référendaire avait en quelque sorte donné durant un temps le pouvoir législatif au gouvernement. D'autres y voyaient les conséquences d'un climat de méfiance entre le Général de Gaulle et le Parlement.
       
       II – L'émergence d'une culture de la performance animée par des acteurs responsabilisés
       
       Si la LOLF est la nouvelle Constitution financière de la France (A), elle est aussi l'expression d'une nouvelle culture partagée par des acteurs responsabilisés (B).
       
       A - Une nouvelle architecture pour passer d'une culture de moyens à une culture de résultat.
       
       Dans la hiérarchie des normes, la LOLF est placée entre la Constitution française et la loi ordinaire. Le Conseil Constitutionnel y fait d'ailleurs référence lorsqu'il est amené à statuer sur les lois de finances dont il est saisi. C'est cela qui fait dire à certains que la LOLF est la nouvelle Constitution financière de la France symbolisée par l'architecture en 3 niveaux du budget de l'Etat: missions, programmes et actions. On rappellera que, depuis l'ordonnance organique de 1959, le budget était présenté par nature de dépenses (fonctionnement, investissements...) preuve, selon beaucoup, d'une culture de moyens en matière budgétaire et non de résultats.
       
       Il existe désormais 47 missions, dont 34 au niveau du budget général. 9 sont interministérielles. A titre d'exemple, on peut citer les missions ministérielles « Santé », « développement et régulations économique », « écologie et développement durable » ou encore les missions interministérielles « Sécurité » ou « Enseignement scolaire ». Les missions expriment les choix politiques et constituent de ce fait l'unité de vote du parlement. Contrairement donc aux services votés, le Parlement ne vote plus en une fois 94 % des crédits mais examine, voire répartit, différemment les crédits au niveau de chaque mission et en demandant une justification au premier euro. Pour contrôler l'action du gouvernement et pour se prononcer de manière éclairée (transparence), le Parlement dispose d'un pouvoir d'audition et d'enquête renforcé et à sa disposition des projets et rapports annuels de performance attachés à chaque programme. Le projet annuel de performance (PAP), joint à la loi de finances, décrit la stratégie, donne les objectifs (5 par programme), les indicateurs (2 en règle générale par objectif), les résultats de l'année précédente et ceux attendus. Le rapport annuel de performance (RAP) joint à la loi de règlement (loi qui rend compte de l'exécution budgétaire), construit sur le modèle du PAP pour faciliter les rapprochements, a pour objet de rendre compte et le cas échéant de permettre une réorientation de la politique publique. C'est ce que l'on nomme le cycle vertueux de la LOLF.
       
       C'est au sein des programmes, qui sont au nombre de 158, dont 132 pour le budget général, que sont mises en œuvre les politiques publiques. Contrairement aux missions, les programmes ne relèvent que d'un seul ministère. Les programmes regroupent les crédits nécessaires à la mise en œuvre des actions, actions qui sont au nombre de 580. On notera que les programmes sont aussi présentés par nature de dépenses: personnel, fonctionnement, investissement...La déclinaison territoriale (régionale, interrégionale...) d'un programme s'appelle un budget opérationnel de programme et pour être encore plus près du terrain celui-ci est découpé en unité opérationnelle.
       
       Les actions identifient les crédits d'un programme qui ont la même destination et la même finalité. On notera avec intérêt que les crédits sont fixés à titre indicatif et qu'à ce titre le responsable du programme peut réallouer les crédits entre les actions, à l'image des parlementaires qui eux peuvent réallouer les crédits entre les programmes au sein d'une même mission.
       
       B- Des acteurs responsabilisés à tous les niveaux
       
       En préalable, on précisera que la réforme a été progressive compte tenu des enjeux: la LOLF a été promulguée en 2001 mais le premier budget voté selon les principes de la LOLF date du 1er janvier 2006.
       
       Aussi belle soit une architecture, elle n'a que peu de valeur si elle ne permet pas la circulation entre ses niveaux. L'architecture de la LOLF, non seulement le permet mais l'encourage car, la recherche de performance selon la LOLF est un cercle vertueux où, doté d'une certaine liberté, l''on s'engage sur des résultats avant de rendre compte et d'accepter les conséquences de sa gestion, le cas-échéant en réorientant son action.
       
       Nous l'avons vu, les échanges sont rénovés entre le Gouvernement et le Parlement. Ils sont transparents et même fiabilisés par les travaux du Comité interministériel d'audit des programmes (CIAP) dont la mission est de garantir la qualité des informations incluses dans les PAP et RAP. On notera que le Parlement bénéficie de l'assistance de la Cour des comptes qui a notamment pour mission de certifier les comptes de l'Etat ( régularité, sincérité et fidélité des comptes).
       
       Ce sont désormais 80 hauts fonctionnaires responsables de programme qui s'engagent sur des objectifs performants et qui rendent compte devant le parlement lors du rapport annuel de performance.
       
       Le dialogue de gestion existe aussi, entre les pilotes et ceux chargés de l'exécution, c'est-à-dire entre les 80 responsables de programme, les 1200 responsables de budget opérationnel de programme et la kyrielle de responsables d'unité opérationnelle. Ce dialogue, comme au niveau du Parlement, repose sur la responsabilité des gestionnaires qui s'appuient sur les objectifs et des indicateurs qui guident l'activité des services en fonction des attentes des citoyens qui sont aussi des usagers et des contribuables. Dans leur mission, les gestionnaires sont aidés par des systèmes d'information et la mise en place au niveau de l'Etat, en sus de la comptabilité budgétaire, d'une comptabilité générale et d'une comptabilité d'analyse des coûts. Pour motiver les gestionnaires, on verra s'amorcer en France les rémunérations au mérite voire à la performance.
       
       Si les gestionnaires sont responsables, c'est qu'ils disposent d'une liberté de gestion. En effet, les crédits sont globalisés et fongibles au sein d'un programme. Toutefois cette liberté trouve, et c'est important, une limite en matière d'emplois car un plafond d'emploi ministériel est fixé et constitue à ce titre un horizon indépassable. Voilà pourquoi, les spécialistes parlent de fongibilité asymétrique car les gains en fonctionnement du gestionnaire ne peuvent pas ouvrir droit à des dépenses supplémentaires en termes d'emplois; l'inverse étant vrai: les gains réalisés en matière d'emplois peuvent financer des dépenses de fonctionnement. Cette interdiction s'explique par le poids de l'emploi qui représente plus de 40% du budget et dans certains programmes 80% des crédits.
       
       ***
       
       La LOLF de 2001 a renforcé le mouvement de réformes qui anime la France. La culture du « dépenser mieux » a désormais un cadre adapté qui génère de nouvelles dynamiques comme entre 2005 et 2007 une vague de 150 audits de modernisation visant 150 milliards de dépenses et actuellement la Révision générale des politiques publiques.


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